Chapitre 3. L'exercice des droits humains des personnes ayant des incapacités de la région de Québec: démarche et résultats
Dans l'optique de poursuivre la démarche de recherche participative dans laquelle s'inscrit le projet Disability Rights Promotion International Canada (DRPI-Canada), les résultats de cette étude sur l'exercice des droits humains des personnes ayant des incapacités de la région ont été rendus publics. Ainsi, le 6 juin 2011, des personnes ayant des incapacités et des représentants des organismes de défense de droits ont été invités à participer à cette activité qui visait à échanger sur les résultats et émettre des propositions afin d'améliorer la situation de leur exercice des droits. Les échanges avec les participants ont permis de valider et d'enrichir le contenu du rapport de recherche.
La journée s'est ouverte avec la présentation de Normand Boucher Ph. D., cochercheur du projet DRPI et chercheur au Centre interdisciplinaire en réadaptation et intégration sociale (CIRRIS). Outre le dévoilement des résultats, cette présentation fut également l'occasion d'expliquer le déploiement du projet DRPI au niveau international, le volet canadien et ses activités dans les quatre sites de même que les étapes de la réalisation du projet dans la Ville de Québec. Les participants ont ensuite eu l'occasion d'échanger sur les résultats énoncés ainsi que, durant l'après-midi, sur des propositions de recommandations visant l'amélioration de l'exercice des droits humains.
La présentation des résultats a suscité plusieurs commentaires de la part des participants qui, dans l'ensemble, n'étaient guère surpris du portrait de l'exercice des droits humains révélé par l'étude. En effet, les participants ont mentionné que les résultats représentaient un portrait fidèle de ce qu'ils entendent sur le terrain et dans les divers organismes de défense de droits. Par ailleurs, ils ont souligné et apprécié l'aspect concret et structuré de l'étude qui constitue selon eux un outil permettant de faire avancer les droits et les revendiquer.
Plus particulièrement, l'accessibilité, le transport en commun, les mesures de compensation et le non-respect de la différence figurent parmi les sujets ayant le plus animé les discussions. Entre autres, les participants ont constaté que plusieurs situations recensées de déni de l'exercice des droits étaient en lien avec les attitudes et comportements sociaux et ont dénoncé ces situations en rappelant qu'il arrivait trop souvent encore que l'on s'adresse à une personne ayant des incapacités, sensorielles ou intellectuelles par exemple, via son accompagnateur ou interprète et non à la personne elle-même. Du respect de la différence à l'accessibilité de l'environnement physique et social, les participants ont souligné le fait qu'elles avaient, les personnes ayant des incapacités, un rôle à jouer afin de sensibiliser elles-mêmes activement la population à leurs besoins et droits de même que l'importance de trouver des solutions universelles satisfaisant l'ensemble des besoins, peu importe le type d'incapacité. En ce sens, rien ne sert d'habiller Paul pour déshabiller Pierre
illustre un participant.
Selon eux, rendre la société plus inclusive est nécessaire afin de permettre aux personnes ayant des incapacités d'exercer leurs droits en toute égalité et de leur offrir un accès réel, soit la possibilité de choisir et d'utiliser les mêmes services et équipements sociaux que ceux offerts à la population générale. Mais cela implique également, selon certains participants, de changer les pratiques et les attitudes et ainsi de lever les barrières psychologiques
que certaines personnes s'imposent elles-mêmes. L'exigence de cette perspective a été signalée par un participant qui se demande : veut-on vraiment être inclus?
. L'important, répond un autre participant, c'est d'avoir le choix, c'est-à-dire la possibilité d'utiliser les mêmes services et équipements publics que les personnes sans incapacités.
La seconde partie de la journée fut consacrée à la proposition de recommandations visant à améliorer les conditions d'exercice des droits humains des personnes ayant des incapacités. Les participants se sont penchés sur de nombreuses priorités d'intervention telles que, entre autres, les services sociaux et de santé, le cadre législatif, la sensibilisation, les mécanismes de plaintes et l'accès à l'information. Un constat semble émerger de ces discussions : C'est épuisant, on est tanné de se battre avoir accès à des services auxquels on a droit
. Conséquemment, plusieurs recommandations ont été proposées :
- Afin de changer les attitudes négatives envers les personnes ayant des incapacités, l'Office des personnes handicapées du Québec devrait mettre en œuvre d'avantage de programmes de sensibilisation et d'éducation populaire.
-
Rendre la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale plus contraignante afin d'améliorer son application et le respect de ses dispositions :
L'étape des beaux discours est terminée, on en est au concret maintenant
. - Exiger de la Ville de Québec de respecter les normes et obligations des mécanismes en place visant l'amélioration de l'accessibilité.
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Favoriser l'
empowerment
des personnes ayant des incapacités afin de les encourager à surpasser les obstacles, mettre en pratique leurs droits et les revendiquer. - Changer les attitudes négatives et la rigidité des intervenants des services de soutien qui imposent souvent leurs solutions sans donner le choix à la personne ne considérant ainsi pas ses besoins.
- Accroître les ressources humaines et financières des CLSC afin de leur permettre d'offrir plus de services et de diminuer les listes d'attente. Actuellement, il y a un manque de suivi et d'information dans les services de santé et de soutien entre le séjour à l'hôpital et le retour à domicile. Les personnes ont besoin davantage de services et ne savent pas où les demander. Les CLSC devrait être en mesure de soutenir de manière plus efficace la participation sociale des personnes ayant des incapacités. Ils devraient également mieux former leurs intervenants à la réalité des personnes ayant des incapacités et à l'ensemble des services existants destinés à ces personnes.
-
Améliorer les mécanismes de plaintes afin d'assurer la continuité et la qualité des services après qu'une personne ait porté plainte. Plusieurs participants affirment avoir peur de représailles, voir de coupure de services, et dénoncent le pouvoir des intervenants au sein de l'appareil.
Ça ne donne pas le goût de porter plainte et de revendiquer ses droits...
- Reconnaître la langue des signes québécoise (LSQ) dans la Charte de la langue française afin d'encadrer son utilisation et ainsi étendre son utilisation aux différentes sphères d'activités, comme l'éducation.
En conclusion, il est primordial, selon les participants, de soutenir davantage les personnes ayant des incapacités afin qu'elles participent pleinement aux activités sociales, économiques, culturelles et politiques et ne soient pas, tel qu'elles se sentent socialement perçues, vues comme un fardeau pour la société, des bénéficiaires de services ou de simples gens subventionnés
. Pour cela, les participants recommandent, d'une part, de rendre disponibles les ressources nécessaires afin d'accroître les services de soutien et d'assurer, d'autre part, l'application des normes et dispositions légales contenues dans le cadre législatif. Toutefois, malgré la reconnaissance des droits et l'existence de lois et politiques, il revient aux personnes ayant des incapacités d'exercer et de revendiquer leurs droits afin de les rendre existants. Car, les droits ne s'appliquent pas d'eux-mêmes, ils sont exercés dans un rapport de forces constant formant un processus politique. Dans les échanges entourant les mécanismes de plainte existant et leur fonctionnement, il est intéressant de constater les craintes de représailles
ou de conséquences négatives exprimées par les participants rejoignent celles qui ont été identifiées dans le cadre de la vigie. Cette situation est importante et mérite d'être davantage approfondie sur le plan de l'analyse mais d'être également pris en considération dans le développement d'activités de sensibilisation. Et c'est en assurant un suivi rigoureux de ce processus que l'exercice de ces droits pourra être favorisé. D'ailleurs, en jetant leur regard vers le passé, les participants constatent avec béatitude les avancées dans le domaine de l'exercice des droits humains des personnes ayant des incapacités.